Traçages artificiels en hydrogéologie : les bonnes pratiques

Malgré ses atouts et la simplicité du concept, la méthode de traçage est peu utilisée. Elle reste mal connue, notamment des concepteurs et gestionnaires de l’eau.
Afin de proposer une vision globale d’une opération de traçage, cet article présente de manière synthétique quelques éléments essentiels des bonnes pratiques de réalisation des traçages.
Il a été réalisé par le CETRAHE (Université d’Orléans) en collaboration avec le BRGM, en janvier 2019.

  1. Mise en œuvre des traçages
  2. Mode de suivi et d’analyses
  3. Exploitation des données et interprétation

Mise en œuvre des traçages

Avant la réalisation d’un traçage, des étapes préliminaires sont à prévoir :

  1. La 1ère est de bien déterminer les objectifs du traçage : traçage de reconnaissance des circulations souterraines, de simulation du transfert d’une pollution, test de caractérisation de l’aquifère   avec la détermination des paramètres hydrodispersifs (vitesse de circulation, porosité cinématique, dispersivité), etc.. Cette étape est très importante car les choix stratégiques qui vont être adoptés par la suite seront un compromis entre les objectifs et le coût.
  2. La 2ème étape consiste à récolter un maximum d’informations existantes, ainsi que la documentation sur les traçages antérieurs (cf. article dédié à l’inventaire régional). Les informations récoltées doivent comprendre l’ensemble des données géographiques, topographiques, géologiques, hydrogéologiques, et anthropiques (usages d’eau, captages, etc..). Quant aux traçages antérieurs, même s’ils n’ont pas une fiabilité satisfaisante par rapport aux critères d’évaluation d’aujourd’hui, ils seront riches d’informations et très utiles pour éviter certains écueils.
  3. La 3ème étape est la reconnaissance du site où le traçage va être réalisé. Elle consiste à faire le repérage des points d’injection potentiels (accès direct ou via une zone non saturée, capacité d’absorption, possibilités de mises en charge et de débordements, besoin de chasse d’eau, accessibilité notamment aux véhicules transportant l’eau destinée à la chasse,…) et des points de restitution potentiels (captages, sources non captées, exutoires en eau de surface, fonctionnement, accessibilité, mesure éventuelle de débit,…). A l’issue de cette visite, il est important de faire un examen de la faisabilité de mise en place des différents dispositifs de surveillance (prélèvements manuels, installation de préleveur automatique, installation de fluorimètre, fixation de détecteurs au charbon actif, influence des régimes de pompages, influence de chloration,…) et d’anticiper les conditions hydrologiques qui peuvent être différentes (et varier) au moment du test.

Après avoir abordé ces étapes, on peut alors procéder au dimensionnement du traçage.

Traçage ou multi-traçage ?
Un multi-traçage consiste à injecter simultanément différents traceurs, en plusieurs points d’injection. Il permet de répondre à plusieurs questions à la fois, de réduire le coût et de gagner un temps considérable. Par contre, il impose un choix judicieux des traceurs utilisés, suffisamment conservatifs dans le contexte, et sans présenter d’interférences analytiques entre eux.
A noter : il est conseillé d’éviter les multi-traçages impliquant plus de 3 à 4 traceurs, au risque d’utiliser des traceurs moins performants, et d’une confusion dans le suivi et l’interprétation de la (des) courbe(s) de restitution(s).

Multi-tracages dans le secteur de Montargis (source : Espace cartographique du SIGES)

Le choix du (des) traceur(s) est particulièrement important pour le dimensionnement des multi-traçages, car il détermine le résultat final selon ses performances et il influence également les autres choix stratégiques (quantité d’injection et types de surveillance).

La bonne connaissance des propriétés physico-chimiques des traceurs ainsi que leur comportement selon le (les) milieu(x) permet de mieux adapter le traceur au contexte géologique, physique et hydrologique.

La quantité de traceur à injecter est toujours une question délicate. Plusieurs formules existent, mais elles supposent une connaissance a priori du milieu et des paramètres le représentant, l’idéal est d’avoir déjà réalisé un traçage dans un contexte équivalent. Le logiciel TRAC (gratuit), dans son volet « Simulation », permet de faire des estimations nécessitant de sélectionner la solution analytique adaptée au contexte hydrogéologique, correspondant au mieux au transit du traceur dans le système traçage   choisi.

Dans la pratique, la quantité est estimée à dire d’expert, au regard du contexte hydrogéologique. Entre l’empirisme, l’intuition et l’expérience, pour trancher la question, il faut tenir compte de deux éléments déterminants : la dilution que le traceur devrait subir, souvent approchée au moyen de la distance et la performance analytique du traceur, et les modes de surveillance.

A noter : Le traçage ne peut pas renseigner sur la totalité du système hydrologique ou hydrogéologique. Les résultats se rapportent uniquement à la partie testée. Pour extrapoler à une autre partie de l’aquifère   il faut être certain de l’homogénéité du milieu.

Les bonnes pratiques impliquent la transmission d’une information préalable à l’opération de traçage auprès des autorités (DDT, gendarmerie, etc.) et des riverains (mairie). Cela permet notamment d’éviter les craintes et alertes liées à la coloration de l’eau, dans le cas de traceurs fluorescents ou colorants.

Avant toute injection, il est nécessaire de réaliser des prélèvements d’eau d’échantillons témoins, et si le protocole inclut l’emploi de détecteurs au charbon actif, il s’agit de prévoir également l’immersion de fluocapteurs « témoins » à une fréquence adaptée.

Pour les traçages de reconnaissance, la réalisation en période de hautes eaux permet généralement de bénéficier de conditions plus favorables, du fait d’écoulements plus rapides en ciblant préférentiellement une période de décrue. Il est recommandé d’effectuer les traçages de simulation dans des conditions hydrologiques contrastées (basses et hautes eaux), car les résultats obtenus peuvent fluctuer dans de larges proportions.

Mode de suivi et d’analyses

Lors d’une opération de traçage, la composante analytique est d’une grande importance. Une interprétation fiable ne peut être formulée qu’à partir de résultats basés sur des mesures rigoureusement contrôlées et une logique analytique.

Le mode de suivi et d’analyses dépend de plusieurs facteurs :

  • type(s) de traceur(s) utilisé(s) : fluorescents, salins,… ;
  • type de point(s) d’eau suivi(s) : source, captage, forage  , rivière,… ;
  • possibilités d’installation de matériel : place disponible, sécurité, alimentation électrique, accès…) ;
  • budget disponible.

La méthode la plus fiable de suivi et d’analyse est le prélèvement d’eau avec analyse au laboratoire. Les appareils du laboratoire permettent aujourd’hui la détection des substances en très faible concentration. Pour les traceurs fluorescents, les spectrofluorimètres de laboratoire (mesure directe de fluorescence) permettent d’atteindre des limites de détection très basses, de l’ordre de 0.001 µg/L pour l’uranine. L’analyse spectrale réalisée par un spectrofluorimètre constitue un diagnostic indispensable de détection et d’interprétation d’un traçage, d’autant plus que les quantités d’injection sont de plus en plus réduites, afin de rester sous le seuil de visibilité aux points de restitution.

Spéctrofluorimètre (source : CETRAHE)

Les instruments de terrain permettant des mesures in situ contribuent aussi à l’amélioration du suivi des traceurs. Des instruments de plus en plus performants sont disponibles : fluorimètres de terrain, électrodes spécifiques, conductimètres sensibles, etc.

Pour les traceurs fluorescents, l’utilisation du fluorimètre de terrain peut être d’une grande utilité. D’un usage facile, ces appareils permettent d’obtenir des résultats en temps quasi-réel, même en cas de multi-traçages. Il est toutefois conseillé d’éviter de les utiliser comme seul dispositif de suivi, en particulier pour les multi-traçages. En effet, les variations de la fluorescence naturelle des eaux enregistrées, ainsi que les interférences entre traceurs, peuvent être interprétées à tort comme des restitutions. Il est donc conseillé de coupler ce suivi par des prélèvements, automatiques ou manuels, afin de vérifier par analyse spectrale au laboratoire la présence ou non du traceur.

En ce qui concerne les détecteurs au charbon actif (fluocapteurs) parfois mis en œuvre pour les traceurs fluorescents, il est conseillé de les utiliser en dernier recours, lorsque les conditions de terrain ne permettent pas d’autre mode de détection. Ils peuvent aussi être utilisés comme un moyen secondaire de détection pour élargir spatialement le suivi dans le cadre des traçages de reconnaissance, en surveillance de points « secondaires ». Toutefois, il convient de rester prudent pour l’interprétation des résultats qui en découlent. Parmi les traceurs courants, un suivi par fluocapteur ne peut être envisagé que pour les traceurs comme l’uranine ou l’éosine, avec un certain nombre de précautions (cf. note technique n°1 du CETRAHE). Les traceurs rouges (type Rhodamines) ne peuvent pas être suivis par cette méthode, le charbon actif ayant montré une incapacité à les fixer dans les conditions du laboratoire à des concentrations dans l’eau inférieures à 30 µg/L. La méthode des fluocapteurs est également inadaptée pour les traceurs fluorescents qui émettent dans le bleu (Naphtionate de sodium, l’Amino.G. acide, le Tinopal).

Enfin, les traceurs ioniques (sels) peuvent être dosés avec une grande précision analytique par différents appareils (Chromatographie ionique, spectrophotométrie, spectroscopie d’absorption atomique, etc.). Cependant, la présence naturelle de ces ions dans les eaux parasite leur détection en faible concentration, malgré la performance de l’appareil utilisé. Le dosage de la quantité injectée doit donc être particulièrement étudiée, de sorte qu’elle soit suffisamment élevée pour être détectée aux points de suivi et suffisamment modérée pour ne pas perturber les usages de l’eau (captages d’eau, milieux naturels).

Exploitation des données et interprétation

Les résultats d’un traçage sont illustrés par la courbe de restitution du traceur, donnant ainsi l’évolution des concentrations en fonction du temps, au point de restitution.

Exemple de courbe de restitution d’un traceur

A partir de cette représentation, on peut déterminer des paramètres simples du transit tels que (non exhaustif) :

La maitrise des débits au point de restitution permet de calculer un bilan de restitution (masse restituée et pourcentage de restitution), et la Distribution des Temps de Séjour   (DTS) qui permet de décrire le transit du traceur dans le système traçage  .

La DTS correspond à la fonction de densité de probabilité qui donne la probabilité qu’a une molécule de traceur de séjourner dans le système. C’est en effet la courbe de distribution du nuage de traceur. Lorsque l’injection peut être assimilée à une impulsion « Dirac » (soit une injection brève), la DTS donne la réponse impulsionnelle du système-traçage pour les conditions hydrologiques dans lesquelles il se trouve au moment du traçage, (Lepiller M. & Mondain P-H, 1986). A partir de la DTS, on peut calculer un certain nombre de paramètres décrivant le transit du traceur, tels que le temps moyen de séjour   et la vitesse apparente  .

L’interprétation des résultats est différente selon l’objectif. Pour les traçages de reconnaissance, l’objectif principal est d’affirmer avec exactitude l’appartenance d’un point d’injection à l’impluvium du système karstique. Pour les traçages quantitatifs (de simulation), il est important de décrire avec précision les modalités de transit du traceur, ainsi que les paramètres hydrodispersifs pour les traçages en milieu poreux. Des outils analytiques d’aide pour l’estimation des paramètres existent. Le logiciel TRAC, en mode « Interprétation » des traçages, permet d’interpréter un traçage à l’aide de différentes solutions analytiques par ajustement des paramètres de la solution et comparaison avec les données d’observation.

A noter : Il ne faut pas confondre les seuils de détection instrumentaux et les limites de détection réelles qui sont fortement dépendantes du niveau du bruit de fond dans les eaux naturelles et varient en fonction du traceur.

Enfin, à l’issue de l’opération de traçage et de l’interprétation des résultats, l’opérateur est invité à saisir les informations dans l’application de saisie de la BD Traçages. Il s’agit de la base de données, à vocation nationale, dédiée à la bancarisation des données (cf. article dédié à la déclaration et à la bancarisation)

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